30.04.2020

Le Covid-19, un test grandeur nature de la transition numérique de la justice

Depuis la mi-mars 2020, l’ensemble de la justice suisse ou presque est en situation exceptionnelle et donc, de facto et de manière pour ainsi dire forcée, participe à une sorte de projet-pilote. Les risques sanitaires et les mesures décidées par le Conseil fédéral et les experts ont en effet nécessité de la part des autorités concernées de passer en quelques jours à un système judiciaire décentralisé.

Apports du projet Justitia 4.0 dans le contexte d’une pandémie

Le projet Justitia 4.0 a pour objectif de mettre en place les éléments nécessaires à une transition vers une justice numérique. Il se trouve actuellement dans la phase conceptuelle. Celle-ci sera suivie de la phase de réalisation puis de celle de la mise en service. Ce n’est qu’à ce moment que la justice suisse fonctionnera de façon entièrement électronique.

La justice numérique imaginée dans le cadre du projet Justitia sera réalisée par la mise en service de divers éléments complémentaires et communiquant entre eux :

  • La plateforme Justitia.Swiss pour la communication sécurisée entre autorités judiciaires et acteurs de la procédure (représentants des parties, parties, autorités impliquées dans une procédure, experts, etc.)
  • L’application dossier judiciaire électronique du côté des autorités judiciaires pour la communication avec la plateforme (« Up-load » et « Download ») et l’attribution de droits d’accès ciblés aux pièces d’un dossier ainsi que pour le travail convivial avec des fichiers électroniques (annotations, mise en évidence, post-it électronique, création de dossiers partiels, etc.).

Dans contexte actuel d’une pandémie, une des principales mesures est la généralisation du télétravail. Cela suppose que chaque magistrate et magistrat de l’ordre judiciaire ainsi que chaque collaboratrice et collaborateur concernés des tribunaux et ministères publics dispose notamment :

  • du matériel informatique configuré pour le télétravail (laptop, etc.)
  • d’une identité électronique permettant d’accéder de façon sécurisée aux applications de bureautique et métier ainsi qu’aux dossiers de son tribunal ou de son ministère public,
  • des accès aux bases de données des lois, de la jurisprudence et de la littérature juridique.

Cependant, dans le déroulement des procédures pénales, civiles ou administratives, les travaux en ligne ne constituent qu’une partie des activités. Le tenue d’audiences par exemple pour l’administration des preuves (audition des parties, de témoins, d’experts, etc.) et les délibérations sont tout aussi importantes. Dans la mesure où ces audiences ne peuvent pas être menées dans une salle d’audience respectant les prescriptions sanitaires en vigueur, elles peuvent se dérouler par vidéoconférence. Pour être valable une base légale est nécessaire : Elle existe pour la procédure pénale (voir par exemple l’art. 144 CPP – Audition par vidéoconférence) et vient d’être adoptée dans l’urgence pour la procédure civile (Ordonnance COVID-19 justice et droit procédural du 16 avril 2020, RS 272.81).

Les moyens techniques énumérés ci-dessus doivent dans la mesure du possible avoir été mis en place avant le début des activités à distance et nécessite une formation adéquate. Au-delà des moyens techniques, il convient de ne pas oublier la disponibilité souvent réduite des personnes qui sont soit elles-mêmes atteintes par la pandémie, soit doivent s’occuper de proches (enfants ou personnes âgées confinées).Si le projet Justitia 4.0 était déjà terminé, il ne couvrirait qu’une partie des besoins (voir le schéma ci-dessous) :

Besoins Justitia 4.0 Remarques
Matériel informatique pour le télétravail non À fournir par les autorités judiciaires cantonales ou fédérales
Identité électronique Oui (accès à la plateforme au moyen d’identités électroniques reconnues) Identité électronique correspondant à la nouvelle identité numérique définie par la Confédération à fournir par les autorités judiciaires cantonales ou fédérales
Accès internet non A organiser individuellement ou par autorités judiciaires cantonales ou fédérales
Dossiers entièrement électroniques Oui (structure de base et application non intégrée) Numérisation des pièces entrantes au format papier à organiser par les autorités judiciaires cantonales et intégration de l’application dossier judiciaire électronique à réaliser par ces mêmes autorités
Droits d’accès aux bases de données contenant les sources du droit non Abonnements à conclure par les autorités judiciaires cantonales
Communication électronique sécurisée entre autorités judiciaires et  acteurs de la procédure Oui (plateforme « Justitia.Swiss » et fonctions de « Download / Upload » (parties de l’application dossier judiciaire électronique)  
Bases légales pour la vidéoconférence non Législateur cantonal et fédéral
Outils de vidéoconférences non Recommandations élaborées dans le cadre du programme HIJP et outils à fournir par les autorités judiciaires cantonales et fédérales.

En conclusion, on constate que les éléments de base sont élaborés dans le cadre du projet et qu’une grande partie de la mise en œuvre incombe aux autorités judiciaires cantonales et fédérales. Une fois en place, un passage d’une organisation normales des autorités judiciaires au sein des tribunaux et des ministères publics à une organisation de crise comprenant le télétravail sera grandement facilité par la réalisation du projet Justitia 4.0.

 

Jacques Bühler, Stv. Generalsekretär Bundesgericht, Co-Projektleiter Justitia 4.0

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